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« Salam Aleikoum », « Que la paix soit sur vous » : c’est ainsi que nous accueille le cheikh Farid Khader Al Jabari, le leader officieux de près de 90 000 Palestiniens vivant aux alentours de Hévron. Et quand il prononce ces mots, on a presqu’envie d’y croire. Car le « Salam » du cheikh Jabari ressemble beaucoup au « Chalom » israélien. Il comprend une opposition farouche au terrorisme et à la violence, des relations étroites et très amicales avec ses voisins juifs, une collaboration active avec les autorités et l’armée et une entraide quotidienne. Avec des nuances toutefois, qui ajoutent à la complexité de cet homme énigmatique.
Le cheikh n’est pas un allié dans le sens strict du terme. Mais il est pragmatique, ce qui est beaucoup dans une région comme la nôtre. Ce pragmatisme, il le résume en quelques phrases : « Vous êtes là, nous aussi, nous allons donc devoir apprendre à vivre ensemble car aucun de nous n’a l’intention de disparaître. La paix n’a pas de prix. Par contre, la guerre nous force à payer un prix très fort, celui du sang versé de nos enfants ».
C’est son père qui lui a transmis l’amour de la terre. Alors que Farid était encore un jeune enfant, il a vu un jour son père ramasser des cailloux dans un champ. Etonné, il lui a demandé : « Mais Père, tu es l’homme le plus riche de Hévron, pourquoi as-tu besoin de ramasser ces cailloux ? ». Son père lui a alors répondu : « Celui qui ne travaille pas la surface de la terre ne jouira pas des fruits de la terre ». « C’est grâce à mon père que j’ai pris conscience que cette terre est précieuse pour nous et pour vous. Cette terre est notre mère à tous, Juifs et Arabes. Elle nous nourrit ».
Mais, souligne-t-il, « cette terre ne nous appartient pas, elle appartient à D.ieu. C’est la terre de D.ieu. Et de ce fait, elle n’appartient à personne. Et c’est pourquoi, en tant que Musulmans, nous ne pourrons jamais renoncer à la moindre parcelle de cette terre sainte. Et si jamais les Palestiniens, ou l’Autorité palestinienne, y renonçaient, sachez que les Musulmans, où qu’ils soient, n’y renonceront jamais ». Pour lui, la terre de Palestine, qui s’étend du Jourdain à l’est à la Méditerranée à l’Ouest, est une terre sainte musulmane, « Waqf », comme il l’appelle. Il est donc interdit de la diviser en parcelle ou même de négocier son partage.
Ce discours est à peu de choses près le même que celui tenu par le Hamas. Une comparaison qui ne gêne pas le cheikh le moins du monde : « Le Hamas est plus honnête que le Fatah et toute la clique de l’Autorité palestinienne. Au moins, avec lui, vous savez à quoi vous en tenir. Il vous dit la vérité en face et n’essaie pas de vous amadouer avec des promesses qu’il ne pourra jamais tenir et des discours mielleux ». La conclusion du cheikh est simple : croire que le démantèlement des localités juives de Judée-Samarie apportera la paix dans la région relève de la naïveté ou de l’aveuglement, dans le meilleur des cas.
« Je suis arrivé à la conclusion que le concept de deux Etats pour deux peuples est une utopie et que la seule solution consiste à ce que nous vivions dans un Etat unique », affirme-t-il.
- Hamodia : Seriez-vous prêts à vivre sous le leadership de la majorité juive ?
- Cheikh Jabari : Tout à fait, si nos droits nous sont accordés. Je suis même prêt à renoncer au droit de vote durant quelques années, le temps, pour les autorités israéliennes, de constater que je n’ai pas d’intentions belliqueuses.
- Vous comprenez l’inquiétude des Israéliens qui craignent que la démographie aidant, les Palestiniens devienne majoritaires dans ce pays.
- Aux inquiets, je réponds qu’ils devraient regarder les études statistiques : ils constateront alors que le taux de naissances palestiniennes est en baisse tandis que celui des Juifs est en hausse…
On l’aura compris, le cheikh a une dent contre l’Autorité palestinienne et tout ce qu’elle représente. Pour lui, les accords d’Oslo sont la racine du mal. Mais plus que cela encore : selon lui, les accords d’Oslo sont tout simplement « mort-nés ». Ils n’avaient pas la moindre chance d’aboutir et ils n’ont de facto abouti à rien. Et c’est l’Etat d’Israël qui porte la plus grande responsabilité de cet échec : il a choisi de se tourner vers un leadership importé de Tunis – Yasser Arafat et les dirigeants de l’OLP – au lieu de parlementer avec les Palestiniens de souche, les tribus, représentées, aux alentours de Hévron, par la famille Jabari, présente dans la région depuis plus de trois siècles. Nous seuls connaissons vraiment le peuple palestinien. Toutes les organisations politiques, Hamas, Fatah, FPLP, ne constituent que 5 % de la population palestinienne. Les Palestiniens, dans leur immense majorité, pensent comme moi, mais ils vivent dans la crainte et n’osent pas dire ce qu’ils pensent vraiment ».
Selon Jabari d’ailleurs, l’AP « ne tiendrait pas plus de deux heures si Israël ne la protégeait pas ».
Les positions du cheikh de Hévron sont connues des dirigeants palestiniens et lui ont valu nombre de menaces et de tentatives d’intimidation. « De nombreux officiels palestiniens m’ont rendu visite et demandé pourquoi je m’opposais à la création d’un Etat palestinien. Je leur ai demandé ce qui conférait à une entité politique le statut d’Etat.
Un territoire délimité et déterminé ? La maîtrise de ce territoire ? La maitrise des frontières ? La maîtrise de l’espace maritime ? La maîtrise de l’espace aérien ? La maîtrise des réserves d’eau ? L’Autorité palestinienne ne maîtrise rien de tout cela et ne maîtrisera jamais rien de tout cela, alors de quel Etat parle-t-elle ? Quelles institutions a-t-elle créées ? Un casino à Jéricho ? »
Comment ce partisan de la grande Palestine peut-il faire alliance avec les habitants juifs de Hévron, partisans du Grand Israël ? Un de ses proches, qui souhaite garder l’anonymat, nous explique que le cheikh parvient à merveille à assembler la religion musulmane, le pragmatisme et l’humanisme. « Il comprend qu’Israël est un fait accompli et désire vivre avec les Juifs sur une base de respect commun.
Il sait bien qu’Israël est un pays puissant et il faut comprendre que dans notre région, la seule chose qui compte c’est l’équilibre de la terreur. Israël est fort et Mohammad a enseigné aux musulmans que lorsque l’ennemi est fort, il convient de lui proposer une houdna, une accalmie temporaire, le temps pour les croyants de se « refaire une santé ». Par temporaire, les musulmans entendent plusieurs dizaines d’années. C’est pourquoi, au lieu d’essayer de signer des accords de paix avec les Arabes, Israël devrait plutôt aspirer à des pactes de non-agression ».
Le cheikh dirige la tribu des Jabari depuis 1994 et il est devenu, au fil du temps, un interlocuteur privilégié des autorités militaires et municipales israéliennes. Le dialogue que sont parvenus à établir le cheikh et les habitants juifs de Hévron a connu son point culminant en 2006, lorsque Jabari a empêché la destruction de la synagogue ‘Hazon David, érigée sur un terrain appartenant à sa famille. Mais cette coopération avec les Israéliens ne s’arrête pas là : le cheikh sert de médiateur en cas de querelle juridique entre Palestiniens et Juifs et de nombreux Arabes israéliens le considèrent comme une instance religieuse, morale et spirituelle.
En arabe, la ville de Hévron est appelée El ‘Halil, « l’ami » : le cheikh Farid Khader Al Jabari n’est peut-être pas un ami d’Israël dans le plein sens du terme, mais il est, sans le moindre doute, un de ses alliés précieux…
Laly Derai - hamodia
http://www.israel-flash.com/2012/07/israel-un-cheikh-palestinien-a-honorer/#axzz1zquImgmF